Cegled – Agigea : 1004 km - 7 jours

Publication promise, donc due ! Il est fortement recommandé d’entamer la lecture de celle-ci muni d’une canette de ce breuvage énergétique jadis proscrit en France, sous peine de fermeture inopinée de vos paupières. Les lignes qui suivent sont en effet truffées de dérives, de détails pourvus ou non d’intérêt – nous le savons, ce paragraphe étant le dernier à monopoliser nos neurones rédacteurs.



Deux sosies de chorizos et un pot de confiture offerts par Gabor dans nos baluchons, nous tournons désormais le dos à la quasi-totalité de ce plat pays que la Hongrie. Josef va en Roumanie, et son freinage un soupçon cavalier le long de la route nous invite à l’y accompagner. Le trajet est une expérience en lui-même : le compteur assume un 160 dès qu’il en a la possibilité, les dépassements débutent au moment où nous, conducteurs français moyen-plus fous, nous rabattons à la hâte. Précisions essentielles : la route n’a qu’une voie, et les limitations légales de vitesse sont identiques à celles que nous nous devons de respecter plus à l’ouest. Heureusement que Josef est d’excellente compagnie, que son carrosse à moteur ralentit quand il en sollicite les freins dans l’urgence, et qu’il nous offre un muffin pour occuper la main qui n’est pas agrippée à la poignée, empruntant ainsi notre attention au défilement vertigineux des lignes blanches le temps de quelques bouchées chocolatées.



Pour la première fois, le franchissement de la frontière apparaît comme une véritable limite : nos passeports nous y sont demandés, nous ajoutons une heure à nos horloges numériques, et les premières images qui nous parviennent sont constituées de nombreux bâtiments désaffectés et de populations visiblement sans le sou. Orradea, ville quasi-frontalière, est la première visitée. Charmante par la présence de certaines bâtisses anciennes, caractérielle par son art de ne pas sembler y consacrer le moindre intérêt en les faisant voisines de grossièretés publicitaires. Nous ne nous y attardons pas, préférant nous éloigner de ce centre urbain d’importance pour trouver un endroit où dormir plus compatible avec notre mètre carré et demi d’espace sous toile. Alesd, il est environ 17 heures, le soleil est bien bas, un enfant nous demande de l’argent, il est interdit aux charettes de pratiquer la venelle situé sur notre gauche – un panneau le signale – ; La France est désormais bien loin. Nous établissons notre maigre campement au bord d’un ruisseau peu fringuant, au beau milieu d’une étendue parsemée de détritus en tous genres. L’heure est à la détente. Partie de cartes Crédit Agricole – fans de la première heure, confiez leur vos royalties, ils nous ont fait l’honneur de quelques privilèges – pour pouvoir les mentionner ici – blague, en vérité, une simple envie de jouer, mais chut.




 


Le départ d’Alesd est plutôt matinal, et l’occasion de comprendre qu’en Roumanie, le stop est un sport national, pratiqué aussi bien par le jeun’s sauce roots en promenade que par la ménagère lambda qui rentre chez elle après son quota quotidien de secrétariat administratif. De la concurrence donc, mais en face, une offre bien plus conséquente que plus à l’ouest, allant parfois jusqu’à l’existence de lieux de rassemblements de taxis clandestins en sortie de ville, souvent aussi âgés et bringuebalant que ceux qui en passent les vitesses. La pratique courante veut que l’autostoppeur rétribue le conducteur selon son propre jugement. Les voitures s’arrêtent ainsi aussi facilement que les piétons en mal de véhicules lèvent le pouce. Un eldorado, même s’il faut savoir se délester de quelques lei – monnaie roumaine – ou mettre une croix sur l’idée qu’une voiture qui s’arrête est systématiquement celle d’un type au grand cœur.



 

De notre côté, les sièges des voitures roumaines sont pour la plupart l’occasion de belles rencontres, de rallyes banalisés, de visites commentées et de discussions didactiques. C’est dingue comme l’oreille y est plus attentive que sur les bancs du secondaire, où la prof’ de géo en préretraite évoque l’impact de la PAC sur la culture du maïs transgénique dans les Balkans.



Nous atteignons Reghin le soir même. Nous y attendent Jorge, Mia et un nombre alors inconnu de razmokets. Nous espérons ce nombre plus petit ou égal à deux pour ne pas regretter s’être portés acquéreur de six pâtisseries individuelles et non davantage. Il n’y en a qu’un finalement, lequel se prénomme Silviu et use allègrement du « un moment s’il vous plait » de notre langage à nous. La maison est grande, flambant neuve, et nous offre une chambre rien qu’à nous avec un lit bien plus dévoué à notre confort que le modèle de tente paslourdniencombrantmaisvivelapluieàlintérieur de Décathlon. Une heure suffit à notre bazar et aux propriétés odorantes indéniables de nos chaussettes pour investir la totalité de la pièce. Nous mangeons comme des rois, et faisons connaissances avec nos hôtes au sens de l’hospitalité indicible. Bien que le gîte et le couvert nous y soient offerts autant de temps que nous le souhaitons, nous y restons deux nuits, le temps de parcourir les hectares de pommiers gérés par Jorge, de passer l’épreuve de l’alcool local, et de renouer avec le Fifa de nos – plus – jeunes années pour montrer à Silviu qu’en matière de foot, le bleu-blanc-rouge reste une valeur sûre. Enorme coup de cœur pour les tomates produites dans la propriété familiale, un peu moins coup de cœur pour le fromage de la région.



Un dernier café offert par notre hôte scelle notre séjour dans la ville, et lance la journée aux aurores. Au programme : les cités moyenâgeuses que sont Sighişoara et Brasov. Nous atteignons la première en fin de matinée, et gravissons les escaliers qui mènent sur ses hauteurs non sans moquer – gentiment – la jeune femme qui nous précède, perchée sur des talons toujours étiquetés des plus inadaptés à la rock’n roll attitude des pavés qui recouvrent le sol.





L’atmosphère est envoûtante, la citadelle, le cimetière photogénique et l’escalier abrité médiéval ayant été préservés de toute intervention récente maladroite. Lucie, sexagénaire de Lyon abordée au hasard des ruelles, nous glisse un billet pour que, dit-elle, nous puissions en profiter. Touchant.



 


Brasov est nôtre dans l’après-midi, mais trop tardivement pour que nous puissions sereinement enchaîner visite et quête d’un carré de pelouse apte à nous recevoir pour la nuit. L’idée : s’en éloigner de quelques virages entre les massifs montagneux pour y revenir le lendemain. Presque deux heures de marche sont nécessaires pour rejoindre une des sorties de ville propice au stop : beaucoup plus que nos estimations hasardeuses. Un miracle prénommé Corneliu nous ouvre alors les portes de sa Logan – si nous avançons le fait que la moitié des quatre roues roumaines en sont, nous exagérons à peine. Dans un français élégamment accentué, il nous met en garde sur la forte présence d’ours dans les forêts alentours, les mêmes que dans le célèbre film du même nom qui nous a fait diablement flipper étant petits. En bref, et par l’intermédiaire d’une de ses connaissances, il nous dépose ainsi aux portes d’un/ d’une … – question à 0 point : a. monastère b. 4 étoiles avec vue sur lac c. MacDonald – monastère !!! Une nouvelle fois, nous passons donc la nuit dans une maison de Dieu. Celle-ci est une sorte d’accumulation d’édifices hétéroclites, implantés à flanc de montagne et organisés face à un corps de bâtiment principal aussi élégant qu’imposant. La déco est celle de frère Daniel, le jardin kitshounet celui de frère Dimitri, l’intendance celle de frère Irie, etc… ; vous avez compris le principe. Le plus dur est de savoir les reconnaître, sous leur soutane et leur barbe de 6829 jours. Heureusement, nous sommes entraînés.






 
Le lendemain, et à quelques kilomètres de là, nous visitons le château de Sinaia, magnifique association de pierre et de bois planquée au milieu d’une forêt - nous vous invitons à consulter la page Wikipedia si vous désirez en connaître ne serait-ce que le propriétaire initial.


Nous arrivons le soir même à Bucarest, et bénéficions là encore d’un accueil des plus généreux. Typhaine et Richards, respectivement expatriés français et anglais, nous installent dans la chambre du fond – salle de bain privative s’il vous-plaît. Le séjour est une réussite, entre les leçons de cocktails anglicisées, les possibilités de transformation flash en fermière dans un village-musée,


le resto’ Thaï partagé avec le couple et certains de leurs amis, le taxi à 20 centimes du kilomètre, la découverte du clone roumain de Patrick Sébastien,




l’absence totale de quelque oppression que ce soit, la dégustation des cocktails précédemment évoqués. A contrario, la ville en elle-même n’a pas le charme des capitales que l’on connaît. Le centre historique, très peu étendu et semble-t-il abandonné depuis de longues années, commence à être l’objet de réhabilitations. Y déambuler nous arrache quelques rictus, lorsque nous fixons notre regard sur les quelques panneaux explicatifs disséminés ici et là, qui malgré la louable intention de renseigner sur quelques bâtiments, présentent une traduction française qui ne l’est finalement pas. Le palais de Ceausescu, énorme masse en cœur de ville, impressionne autant qu’il laisse dubitatif, tant par l’abandon des pourtours à l’anarchie végétale, que par la probable absence de lumière naturelle dans quantité de pièces - un plan carré de peut-être 200 mètres de côté sans patio ni lumière zénithale, ça bouleverse les apprentis archis que nous sommes, bien qu’en stand-by. Pour les angoissés du tour de taille, Bucarest est un eldorado : vous pouvez monter sur une balance contre une somme modique à tous les coins de rue. Compte-tenu de l’état de forme apparent du matériel, nous ne garantissons pas la fiabilité des pesées.





Nous passons notre dernière nuit sur la côte est du pays, à quelques kilomètres de la mer Noire, sans pour autant en avoir aperçu la houle. Nous dormons chez Bogdan, énième conducteur séduit par l’idée d’apporter un instant de bonheur à des pouces levés. La soirée est tranquille, et confirme définitivement l’idée que les roumains ouvrent facilement leurs portes aux âmes de passage, lorsque ceux-ci franchissent les barrières de chiens qui veillent les entrées, aussi bien dans les propriétés elles-mêmes que dans les rues.



Notre Roumanie à nous est une terre de contrastes, soulignés autant par les dires de nos multiples interlocuteurs que par ceux de nos deux paires de pupilles en alerte : deux économies – celle des travailleurs déclarés au mode de vie similaire au nôtre, celle, au moins aussi importante, qui se fait par passage de billets de main en main et récupérations en tous genres -, deux agricultures – quand des paysans miséreux vivent avec le nombre d’animaux que contient la ferme playmobil, transportant le fruit de leur travail sur une charrette tirée par un canasson grabataire, d’autres, tels que Jorge, cultivent des hectares mécaniquement –, deux peuples – les tziganes, considérés par une bonne partie du reste de la population comme responsable de l’image particulière de la Roumanie dans les pays d’Europe de l’Ouest, vivent dans des villages isolés en marge de celles-ci. Dans un coin de notre case architecture pour un bon moment : l’extravagance de mini-châteaux gypsies, constitués de tourelles, d’ornementation à outrance et de toitures bling-bling, dont la construction est stoppée à plusieurs reprises par le fait qu’ils ne fonctionnent pas sur le long terme mais vident leurs portefeuilles avant de pouvoir assumer la totalité des frais encourus.



Si une semaine ne suffit évidemment pas pour tirer quelque conclusion que ce soit sur un pays, nous sommes aujourd’hui de ceux qui pensent que l’image qui colle à la Roumanie est aussi fausse que les Lacoste vendus dans les zouks de Casablanca. Allez-y. Si vous êtes aussi gentils, sages, ouverts, affectueux, souriants et drolatiques que nous, peut-être même aurez-vous le privilège d’une variété de pommes à votre nom. Yonathan, succulence frugale à la robe rouge et brillante est le nôtre. Mais bon, il paraît qu’elle existe depuis longtemps…



A venir : la Turquie dans l’Undo bus et sa bande de hippies nu-pieds mais carnivores : du fun, des bains d’enfants, de la musique et plein de câlins.

2 commentaires:

  1. Bonjour vous 2 =)
    Quel plaisir de lire ses lignes, j'ai hâte de voir les photos manquantes. =D
    Bisous,
    Elodie

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  2. Votre périple est aussi fou que formidable à lire !
    Merci de nous faire rêver et voyager avec vos mots et vos photos ! (et soit dit en passant, c'est très bien écrit)
    Belle continuation !

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