Istanbul -Trabzon : 1149 km – 3 jours


Bien que modifiant notre frivole itinéraire à chaque petit-déjeuner, le précédent article dit vrai : mis en appétit par des récits de voyageurs croisés sur la route, nous prenons la direction de l’Iran. Négation de la frilosité parentale, léger pied de nez aux tentatives de dissuasion de la diplomatie française : une carte peinturlurée d’un rouge vif caractérise le pays entier comme zones à éviter, des mises en garde de toutes sortes nous promettent autant de liberté que Strauss-Kahn dans les geôles de Rikers  Island. F*** (mot anglais pas joli-joli).

Nos hippies sont toujours à Istanbul, retenus par quelques questions aux réponses tardives quant aux formalités d’obtention des visas nécessaires à la poursuite de leur voyage jusqu’en Inde. Jasmine, suédoise qui s’ennuie du trop-plein de quiétude des modes de vie scandinaves, a rejoint les irréductibles – pour mémoire, Tim, Ben et Xavier – qu’elle avait dû quitter un mois plus tôt, suite à quelques tracasseries administratives intervenues plus à l’ouest. Jasmine, c’est ce genre de fille qui saute de joie quand vous la rencontrez pour la première fois alors même qu’elle ne connaît de vous que votre prénom, qui vous fait un câlin pour vous dire qu’elle vous aime parce que le monde n’est qu’amour, qui a une trousse de toilette de la taille d’un paquet de chewing-gum parce qu’elle est suffisamment jolie pour s’affranchir de la violence d’un peigne qui violente des cheveux longs, qui rivalise de nu-pieds avec Ben parce qu’elle n’a pas besoin de chaussures pour user ses 10 doigts sur une gratte.

Une semaine que la cuisinière n’a pas quitté le coffre, que les vitres sont doublées de pare-soleil, que les réveils sont dictés par les klaxons stambouliotes. Beaucoup trop étouffant pour un quatuor de hippies qui commence à renifler sévère. Le départ est imminent et attendu de tous. Quatre personnes pour une capacité officielle de 6 places – officieusement, aucune donnée ne nous est parvenue –, une direction qui est la nôtre, une envie partagée de refaire un bout de chemin ensemble ; ça fait beaucoup trop de raisons de ne pas retrouver les banquettes fluos pour une durée alors indéterminée. Vous l’avez compris : Undobus, deuxième.

Que c’est bon de retrouver l’itinéraire brinquebalant du van et la bonne humeur de ses occupants... Une centaine de kilomètre à peine suffit à trouver un morceau de paradis pour passer le reste de la journée : une plage d’un sable duveteux, une eau transparente, un soleil qui rajoute une once d’hospitalité au lieu, seules deux trois âmes canines peinardes comme voisines. La soirée est la manifestation de ce sentiment de libération : la peau du djembé se déleste d’une poussière de 7 jours en vibrant à nouveau, les fermetures des housses libèrent les guitares trop longtemps oubliés, les harmonicas rivalisent de do-ré-mi improvisés, Tim crie sa joie en jouant de sa voix sur des thèmes caractéristiques de ses envolées chansonnées. Quelques morceaux choisis, caricatures des rares extraits qui ont franchis l’étape traduction de notre compréhension partielle de l’anglais : « au zoo, il y a des singes », « je suis gay et c’est bien », «  il fait beau et c’est bien »,  « le soleil est mon ami »,  « le voyage, c’est bien » – en anglais, je vous assure, c’est vachement bien. Le son prend de l’ampleur, enveloppant le groupe d’une émulation dévorante et jouissive. John s’inspire du rythme donné par l’un et du ton suggéré par l’autre pour glisser ses propres notes. Antoine consomme les mélodies volages pour le simple plaisir de son ouïe. La musique et les mines réjouies ont repris le pouvoir et retrouvés leurs plus beaux représentants, défiant le froid jusqu’à complète rassasion. L’appel des duvets puis une dose de cocasses idioties, une fois les corps dévêtus réchauffés de leurs plumes. Le sommeil l’emporte. Il ne reste plus aucune latitude aux soucis pour perturber le rêve ; celui, par exemple, que tout soit toujours aussi simplement savoureux.








Nos paupières libèrent nos yeux, assistés par la douceur des vaguelettes et les premiers rayons du soleil. Ben n’est déjà plus sous son semblant de couverture. Bah non voyons, y’a une falaise sur notre gauche. Il en a déjà escaladé 3 fois les versants les plus accessibles, puis a probablement piqué quelques têtes dans une mer Noire qui, comme nous, se réveille doucement. Les feuilles de menthe cueillies par Xavier infusent dans une casserole d’eau bouillante pour constituer le thé du jour indispensable. La matinée se déroule ainsi, marquée par les séries d’abdos des motivés, les excursions des aventuriers, les lancers de dés des joueurs, les bains successifs de tous. De notre côté, un ballon mal en point nous fait de l’œil. 10-8, score final. Nous lavons nos corps en sueur des grains de sable qui s’y sont collés en les plongeant une dernière fois dans les 20 degrés de l’eau salée. Et en France, il fait beau ?





Nous quittons l’endroit à midi passé, puis nous arrêtons une dizaine de kilomètres plus loin, dans l’objectif primaire de déjeuner à moindre coût. Il faut nous rendre à l’évidence : ayant des billets d’avion au départ de Shiraz – au sud de l’Iran – dans une petite quinzaine de jours, il nous faut atteindre la frontière suffisamment rapidement pour pouvoir en profiter. L’Undobus, lui, se déplace lentement, au gré des coins de paradis à même de l’accueillir, des villages croisés, des envies passagères, des petits creux. Nous reprenons la route. Une gare routière. Nous descendons. Le car pour Trabzon part dans 5 minutes. Les affaires qui traînent dans le bus sont réunies par œuvre commune, pendant que nous payons et tentons de comprendre les modalités du changement de véhicule qu’il nous faudra effectuer. Le moteur tourne, le chauffeur fixe nos manœuvres hâtives comme pour signifier qu’elles ne le sont pas encore assez. « Au revoir », « à bientôt », « merci », « on vous aime », prononcés rapidement entre les enlacements avec nos hôtes de plusieurs jours. Le car part et nous avec. Waw, c’est dur. Trop vite. On voulait vous redire tout ça 3 fois et profiter de vos regards bénis et bienfaisants encore un peu. Au revoir, à bientôt, merci, on vous aime. Au revoir, à bientôt, merci, on vous aime. Au revoir, à bientôt, merci, on vous aime.

Le voyage est celui du premier contact avec les cars de cette région du monde. 10 euros pour environ 1000 kilomètres, compris un service de thé impeccable, quelques gâteaux pour nous remercier – et c’est bien normal – d’avoir choisi la compagnie concernée, et des écrans individuels pour regarder quelques chaînes de télévision turques. Faute de capter un seul mot de la langue, nous plébiscitons la 9, qui sur un fond de musique à l’intérêt relatif, nous permet de suivre les performances de notre chauffeur grâce à une caméra suitée à l’avant du véhicule. Nous passons la nuit sur les banquettes du car, dans un confort suffisant pour péter la forme à l’arrivée. Mission du jour : obtenir le visa iranien dans la journée, a priori simple formalité dans cette ville de la côte nord que Trabzon – et que celle-ci, tuyau de voyageurs. C’est d’ailleurs là le seul motif de notre présence ici, la ville n’ayant aucun intérêt particulier autre qu’être située sur la côte.

L’ambassade ouvre ses portes à 9 heures, alors que nos téléphones en indiquent une de moins. Un type nous adresse un sourire communicatif et engageant. Mika est géorgien, débarqué là par une sorte de hasard puisque lui n’a pas besoin du visa iranien, plus ou moins en transit jusqu’en Italie, pas vraiment sûr du temps dont il dispose ni du pourquoi de ce départ. Mika parle géorgien, quelques mots de russes, italien, français et anglais parfaitement. 27 années pour 10000 fois plus d’idées sur la vie, un engagement social évident, une culture indéniable et une dose suffisante de connerie pour rester accessible. Le courant passe immédiatement. L’Italie est oubliée : il vient avec nous au pays des mille et une nuits.





Nous passons la journée dans les rues de la ville, en attendant de pouvoir récupérer nos passeports marqués du précieux sésame, partageant thés et discussions avec nombre de voyageurs venus pour la même raison que nous : un couple de français cinquantenaire et profondément attachant s’offrant deux ans d’itinérance autour du monde dans un fourgon, un irlandais à vélo délirant à l’accent impitoyable pour nos carences linguistiques, une chinoise branchée sur 2000 volts en continu drolatique à observer,… C’est désormais une évidence : les tour-du-mondiste sont légion. De multiples trajets, de multiples raisons, des moyens de transport à chaque fois différents, à chacun son voyage. Nos 10 mois pour environ autant de pays n’ont pas de raison de fanfaronner. Gardons cela pour les réunions de famille du retour.

16 heures, le visa demandé est nôtre. Retour à la gare routière pour prendre un autre car de nuit. Il s’agit désormais de négocier chaque chose, et combattre avec férocité l’incarnation du portefeuille sur pattes que le blanc de notre peau nous  fait parfois porter. John – économe diront certains, pingre diront les autres –, se charge de tenter de diviser les prix par deux sans laisser poindre une fébrilité fatale aux tractations. Antoine, au côté panier percé bedonnant et bien trop tendre en affaires, utilise ses capacités en calcul mental pour convertir en temps réel les tarifs négociés par son collègue. Billets en poche, désaltérés au thé et sustentés aux gâteaux, accompagnés de Mika, ses trois disques durs externes et son français accentué à la déconne facile, nous prenons la direction de la frontière et plus précisément de Dogubayazit. Demain, le gilet pare-balles.

Nous ne pouvons terminer cet article sans adresser un message personnel à destination de l’Elodie qui occupe la moitié de la rubrique message à elle seule : Elodie, carburant nécessaire à la tenue correcte du blog, ne nous quitte pas. Mais qui es-tu ?

N’hésitez pas à réagir, qu’il s’agisse de remarques quant à la fréquence d’écriture, des photos, des écrits, ou quoi que ce soit d’autre que ce blog vous inspire. Prochain article d’ici 3 jours, et même que cette fois, on y croit vraiment.

7 commentaires:

  1. Puisqu'on me tend la perche pour réagir, sachez donc que je reste un de vos fidèles lecteurs malgré vos dates de publication aléatoires, et ce depuis ce fameux article du canard local. Merci du partage! Une petite suggestion: une carte avec le tracé de votre itinéraire en fin d'article nous permettrait de mieux visualiser le chemin emprunté...
    A dans trois jours alors!
    Guillaume.

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  2. Quelle réactivité!
    Merci ;-)
    Guillaume.

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  3. Eh bien moi je vais aussi vous laisser un petit message aussi parce que j'aime juste trop lire vos aventures. Et puis parce que je vous aime trop les gars et que mon colloc, bah t'es encore mon colloc même si ton appartement actuel à l'air d'être la terre entière ^^ je suis pas jalouse! j'ai appris que finalement les gilets pare balle ont été efficace puisque encore vivants après l'Iran!
    bisous mes copains
    bon voyage
    PS: merci à l'auteur de ces lignes, c'est juste merveilleux à lire je soupconne Antoine, et merci à l'artiste aquarelliste, qui rends les moments bien plus vivants qu'en photo (humhum John t'es grillé!)

    Anne (vous l'aurez deviné!)

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  4. Bonjour vous 2 =)
    Encore une suite très enrichissante, vous devez vraiment vous régaler autant au niveau gastronomique que rencontres. ^^
    Oh, c'est trop touchant, ce ptit message perso. C'est gentil. *-* Qui suis-je ? Hum ... attends je réfléchie ... Je dirai, une jeune fille,Elodie, qui va avoir dans quelques jours ses 18 ans. Cette année, elle carbure tant bien que mal en Term S pour tenter de décrocher le fameux diplôme que tout le monde rêve d'avoir, le BAC ! :D Voilà, le principal. Pleins de bisous, et au prochain résumé de votre périple. ;)

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  5. Merci de nous donner de vos nouvelles..Nous voyageons avec vous. C'est super...de belles rencontres, de belles découvertes. Vous devez vous régaler côté architecture ! une belle expérience que vous faites là ! pourriez vous mettre un peu plus de photos ? Merci merci..Bonne continuation !

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  6. Moi aussi je peux vous rejoindre dans l'undobus si vous le recroiser, il a l'air terrible ce van!!!!
    Et je suis d'accord avec Anonyme, plus de photos, plus de photos!!!
    Et un petit détail technique, en général avec les blog, on peut mettre où on se situe sur google maps, et comme ca ca nous permettrait de voir o vous êtes,car comme le Guillaume, on ne se rend pas bien compte d'où vous vous trouvez sur le globe.
    Continuez à raconter votre vie, ca fait du bien dans la grisaille et la monotonie de la vie française!
    Bisous bisous

    Simon.

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  7. Diviser les prix par 2 ! Allons, soyez pas timide, préparez-vous à la Chine ! Le statut de blanc implique que tu divises les prix au moins par 4...et si tu es bon comédien, par 10 ça marche aussi.
    Vive les pingres ! Et le marchandage ;)

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