Katmandou (Népal) : 4+4 jours




Afin de raviver la flamme, aussi bien dans nos doigts que dans vos yeux, nous expérimentons une nouvelle façon de rendre compte de ce voyage, plus partielle mais moins chronologico-coincée, non sans faire appel à vos qualités de jugements et vos conseils avisés.

« Histoire d’un trajet jusqu’à la Poste de KTM », chronique romanesque fortement empreinte des aventures de nous.



Voici Katmandou, du moins ce que l’objectif du grand angle de Jonathan veut bien nous offrir, depuis le sommet du Monkey Temple, en une seule pression de bouton déclencheur. Au milieu à droite, Thamel, le quartier à touristes où nous établissons demeure le temps d’une semaine, ses restos et guest-houses en brochettes, ses propositions de hashish et substances planantes en tous genres, ses boulangeries magiques, le son insupportablement européen qui s’échappe de ses bars la nuit tombée, ses vendeurs de livres d’occasions. Nous partons de là, enfin presque. Hors-champs – mais l’important n’est pas là –, la Poste, objectif du jour, dont la mission systématique est de submerger de nouvelles une ravissante blonde aux yeux bleus profitant de la douceur andalouse.




Six pas et demi plus tard, un premier conducteur de pousse-pousse nous accoste, nous faisant suffisamment oublier le fait que le dal-bhat du midi nous a donné l’énergie suffisante pour faire trois fois le tour de la ville à cloche-pied, pour qu’apparaisse le questionnement intérieur de la réponse.
Pour le pousse-pousse : le côté écolo ; la fiabilité des moteurs, certains ayant plus de 50 ans ; le seul bureau de Poste de la ville est quand même à 2 kilomètres ; le prix de la course, fortement attractif une fois divisé par 4 ; s’asseoir dans un pousse-pousse évite de refuser les avances des 12000 concurrents le long du chemin, gage d’une certaine tranquillité.
Contre le pousse-pousse : notre comptable, ce con, qui dit que 1+1+1… et qui n’est autre que nous-mêmes ; l’estomac d’Antoine, en phase post-traumatique, que les nids-de-poule rendent nerveux ; la vision du matin d’un conducteur-moteur à l’agonie, chargé de 2 tonnes de pudding humain made in England, du lonely-planet de madame et du Canon X4402+300 – le genre d’appareil qui vous permet de prendre en photo l’Everest depuis l’Annapurna grâce à un zoom monumental – de monsieur ; 2 kilomètres, c’est pas tant que ça.
Verdict : notre comptable est un homme très puissant. Nous partons donc à pied.




Quittant le terminal de l’aéroport quelques jours plus tôt, Antoine imagine des oiseaux, des temples et des moines bouddhistes méditant aux coins de ruelles proprettes. Antoine est romantique. Katmandou ne ménage pas les romantiques, lesquels, comme ne le montre pas la présente photo, trop indisciplinée, doivent s’affranchir de ciel bleu le temps de leur séjour et se contenter d’un gris de matières polluantes, entre les toiles dessinées par l’anarchie des fils électriques. Sur le chemin de la Poste, un triathlon – le même chaque jour – : le slalom entre les motos qui klaxonnent en continu, préférant s’attaquer à nos tympans avant, éventuellement, d’user du pare-foule qui en habille le moteur, puis le saut de bouses de vaches, sournoises et abondantes, rendu difficile par le nombre de participants et du faible espace qui nous séparent les uns des autres, et enfin, la course d’orientation, visant à repérer des temples dissimulés sporadiquement, oubliés des pinceaux rénovateurs et engloutis par la masse bâtie. Trop pensif, John rate un obstacle fécal. Il est en sandale… 




Nous arrivons à Durbar Square, ensemble de constructions hindouistes dédié à leurs divinités, sorte d’ovni dans l’urbanisation congestionnée de la ville, cocktail toutefois chaotique d’espace et d’édifices épars, animé d’autant de touristes que dans l’ensemble de l’Iran et d’encore plus de népalais. Ne nous plaignons pas ; la brique est ici toujours rouge, les murs blancs du palais principal à peine grisonnant, les boiseries de dentelle épargnées par l’oubli ou la condition de support à quelque encart publicitaire nihiliste. C’est encore loin la Poste, et les épices du dal-bhat ont quitté nos palets, désormais aptes à accueillir une nouvelle saveur convenablement. Nous achetons quelques bananes. Antoine préfère les pommes. John lui rappelle qu’après nombre d’achats décevants où pommes et farine ont montré des signes de familiarité, il s’est pourtant promis de ne plus en acheter. Antoine achète des pommes. Encore raté…




Nous laissons Durbar Square derrière nous et poursuivons notre chemin. Un singe ! Ce n’est pas le premier, mais croiser un singe reste un évènement, synonyme d’immortalisation de l’instant par une photo. Celui-là se gratte la jambe gauche. Sur demande : deux singes font l’amour sur un toit, un singe vole un sac plastique, un singe trimballe son petit d’arbre en arbre, deux singes font l’amour sur un muret – les singes semblent avoir un appétit sexuel passablement développé –, un singe nous regarde d’un air inqualifiable et impénétrable qui suffit à nous inquiéter, une course de singes sur des toits, un singe inspecte son appareil génital après s’en être servi, un singe lit Molière en faisant du monocycle.




Nous approchons de la Poste, si nous tenons le plan dans le bon sens. Nous sommes désormais sur les trottoirs de l’avenue principale de la ville. Une petite fille, assise à même le sol, nous régale d’un sourire magnifique pour que nous garnissions le pot qui se tient devant elle de quelques roupies. La photo potentielle peut être belle, trop belle, et nous fait oublier le principal : la misère, lorsqu’elle a un visage et des bras mendiants presque aussi fins que nos pouces, ne s’emporte pas avec soi dans une boîte à images pour en ressortir dans la soirée crêpe-photos du retour. La mère de la petite-fille, assistant à la scène, nous adresse avec véhémence une petite minute d’invectives – identifiées comme telles malgré notre ignorance de l’hindi – et ordonne aux deux autres enfants qui l’accompagnent de nous utiliser comme crachoir, lesquels se font un plaisir d’obéir. Nous pressons le pas, réalisant avoir quelque peu outrepassé les droits du touriste, bien que nullement animés de la moindre mauvaise intention qu’il soit. Notre salive, à nous, sert à coller les timbres.



Nous prenons à gauche, arrivant dans la venelle commerçante où se trouve la Poste, et croisons nombre de porteurs. Si « une fourmi peut porter jusqu’à 60 fois son poids » dixit internet, l’homme népalais aussi, les jambes flageolantes, le cou gonflé par la pression exercée par la charge, le haut du crâne en contact avec la sangle de cuir qui permet le transport, la tête baissée pour résister tant bien que mal. Derrière un de ces ballots, un type mal rasé, aux yeux bleus, fonce droit sur nous. Croiser un type mal rasé, aux yeux bleux, reste un phénomène courant, même s’il y en a davantage aux Galeries Lafayette nantaises qu’au marché de Katmandou. Mais celui-là, il n’est pas comme les autres. En fait, ce type mal rasé, aux yeux bleus, c’est Mika, notre géorgien chéri, quitté dans une de ces chambres d’hôtels désuète d’Hermadan, en Iran. Nous l’attaquons de front, une franche accolade succédant à la manifestation bruyante de notre surprise mutuelle, de se retrouver là, à Katmandou, par le simple super-pouvoir du hasard et de celui de ses graines de « projets sociaux » itinérants. « C’est dingue » disons nous. Paraît que c’est le monde qui est petit.

Rendez-vous pris pour le soir, nous quittons Mika et les deux amis qui l’accompagnent pour clore le trajet aller : nous postons la lettre. Fin de la petite, toute petite « Histoire d’un trajet jusqu’à la Poste de KTM ».

Epilogue :
Comme convenu, nous passons la soirée ensemble dans leur lieu de résidence provisoire, non loin de Durbar Square, puis décidons de rendre visite à ce dernier. Il est environ 9h30. Les rues sont désertes, libérées de leur activité diurne, grouillante et bruyante. La ville n’émet plus de sons. Nous nous asseyons sur la plus haute marche d’un des temples de briques et de bois. Katmandou et ses autochtones ne dorment pas tout à fait : des enfants, oubliés des privilèges et du droit d’insouciance de leurs âges, aspirent de la colle dans des paquets de chips. Ils s’approchent un par un, posent quelques questions et répondent aux nôtres, suffisamment simples pour être comprises. Mika sort son iphone, équipé d’un programme improbable installé pour apprendre la langue locale. Ils jouent, prononcent les noms d’animaux dont défilent les photos, répètent ceux des fruits et légumes qui se succèdent à l’écran. Nous ne sentons pas un soupçon d’agressivité, ne sommes pas de ceux que la nuit apeurent jusqu’à constipation avancée, mais nous avons tous déjà regardé Zone interdite pour décider de ne pas prolonger pas l’expérience au-delà d’une heure. Pourtant, ce ne sont que des enfants. Le nuage de Pimprenelle et Nicolas ne passe pas, au dessus de Durbar Square. Katmandou c’est violent.

3 commentaires:

  1. Bonjour vous 2 =)
    J'aime prendre ma bouffée d'aventure en votre compagnie, encore de belles photos. Les temples sont superbes. Pour moi, expérimentation validée !! ^^ Bisous

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  2. ça manque de jolis dessins mais j'ai encore pris autant de plaisir à vous lire. Merci

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  3. On sent dans vos écrits qu'on s'éloigne terriblement de nos clichés occidentaux.En tout cas ta façon d'écrire mon colloc(même à deux à l'heure il faut l'avouer)me fait toujours autant rire!
    Bisous les copains!
    Anne

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