Katmandou : un après-midi







De retour à Katmandou pour venir à bout des tribulations administratives inhérentes à notre volonté de visiter un bout d’Inde, il nous faut occuper notre temps libre. Le temps-libre, dans la capitale népalaise, c’est celui qui sépare nos petits déjeuners royaux de nos couchers filmophiles ou littéraires – poster des lettres, acte qui réclame organisation et réflexion, ce n’est pas tous les jours. Au programme de ce jour-ci, un pèlerinage sans étiquette, ou plutôt une promenade initiatique sous l’œil de Buddha et Brahman en ami du Petit Jésus que nous sommes depuis la naissance, malgré l’épais brouillard qui entoure nos connaissances en matière de catholicisme, se résumant désormais à tous les bons moments qui résultent du respect de ses traditions, des jours fériés aux retrouvailles familiales, des cadeaux aux petits fours. Nous voulons savoir ce qui se passe chez le voisin, lui qui ne peste pas, le dimanche matin, contre le vacarme des cloches qui le réveillent systématiquement, lui qui ne se rappelle pas, se rendormant, que venu Pâques ces mêmes cloches lui permettent de s’enfiler six poules en chocolat en une soirée, lui qui, à douze ans, n’a pas fait sa communion pour obtenir la chaîne-hifi tant convoitée, lui qui, se mariant, n’a pas à craindre que sa douce le plante d’un non lorsque l’individu en soutane blanche lui demande si elle est bien certaine de ne pas avoir choisi un raté. Nos voisins, à Katmandou, sont hindouistes ou bouddhistes. Petit tour de leurs quartiers généraux respectifs : Pashupatinath pour les premiers, Bodnath pour les seconds nommés.




Le premier habitant de Pashupatinath que nous croisons est un petit monsieur d’une souplesse étonnamment dix fois supérieure à celle d’Antoine. Il habite à l’entrée du quartier, dans une sorte de colocation géante appelée plus sagement dispensaire, fondée par mère Térésa pour accueillir des personnes âgées isolées, démunies, et pour beaucoup atteintes de problèmes de santé.




Aussi vrai que nous l’ignorons alors que nous en croisons deux représentants, les mascottes du quartier sont appelées sadhu. Vêtus de tuniques orange, ces hommes vivent en marge de la société, cherchant à se rapprocher du but ultime – appelé moshka – qui vise à la libération de l’illusion et la fusion avec le divin, ne possédant que les six perles et demie de bois qui entourent leurs maigres cous, se nourrissant grâce aux dons des dévots. En admettant que nous pouvons généraliser à partir de notre propre expérience, croiser un duo de sadhu pour la première fois se fait en 5 étapes. Tout d’abord, lorsque votre œil est attrapé par l’orange vif de leur tunique, vous marquez machinalement un stupide temps d’arrêt. Ensuite, vous modifiez tout aussi machinalement votre trajectoire de quelques degrés, car légèrement flippé, vous imaginez en eux des êtres complètement fous si vous êtes de nature optimiste, serial-killer dans le pire des cas. La troisième étape consiste à lancer à son camarade, feintant d’avoir dévié sa trajectoire par l’action du dénivelé du sol, « tiens, je ne les avais pas vu ! C’est joli toutes ces couleurs ». Arrivés à la quatrième étape, vous vous rendez compte que pendant les cinq minutes d’observation, ils n’ont fait de mal qu’au morceau de cacahuètes coincés entre leurs dents. Enfin, vous osez prendre une photo, en veillant tout de même à rester discrets : cinq minutes, ce n’est pas tant que ça…




L’habitant suivant n’est malheureusement plus de ce monde. Nous n’en connaîtrons que la silhouette, nous renseignant simplement sur le fait qu’il n’a jamais abusé des dal-bhat à volonté des restaurants que nous fréquentons. Peut-être cette silhouette est-elle celle d’une femme, peut-être est-elle celle d’un homme. Recouvert d’un linceul et de fleurs offrant une large palette d’oranges différents, le défunt est allongé sur un lit de bûches de bois, probablement prélevées parmi les centaines de stères entreposées quelques mètres plus loin. Ses proches lui font leurs adieux un à un, faisant parfois le tour du corps, l’aspergeant d’eau sacrée prélevée directement dans la rivière, jetant pour la plupart ce qui semble être des pétales blanches, bien que les propriétés bonnes odorantes de ces dernières puissent être remises en cause par la densité des masques de protection. Nous nous asseyons. Des voisins, regroupés autour du corps inerte, il y en a bien d’autres.




Face au ghat où se déroule la cérémonie funéraire précédemment décrite, le kaki propret et parfaitement tenu d’une petite troupe de soldats s’installe dans une sobriété de mise et la discipline de leur uniforme. La personne allongée reçoit des honneurs militaires, au son cuivré d’une sorte de trompette locale. S’agit-il d’une personnalité ? D’un ancien engagé ? Le pas cadencé du groupe aux crânes rasés et chapeaux installés avec soin nous rappelle une chanson de Claude François. Impossible, dés lors et jusqu’au coucher, d’ôter les entrechats guillerets du refrain de nos esprits.



Toujours assis sur la même marche, Antoine sursaute, surpris par le remugle d’un souffle bovin sur le flanc droit de son visage. Nous nous déplaçons de quelques mètres, refusant les avances de la bête à cornes, et nous trouvons désormais face à un autre ghat, situé à quelques mètres du premier, sur l’autre rive. Le lit de bois, le cadavre, et les proches ne sont ici plus qu’un tas de cendres et de billots incandescents, objet de l’attention orpheline d’un raviveur de flammes. Devenu tas de poussière, l’ensemble est jeté dans l’eau, laissant ainsi la place à une autre crémation.



Nous dirigeant vers la sortie, nous croisons un autre sadhu, lequel semble t-il, s’amuse avec le mètre de tentacules qui émane de son cuir chevelu. Cette fois-ci, ni psychose ni délire paranoïaque, mais une lucidité absolue : il ne s’agit que de cheveux, et en aucun cas, cet homme ne peut s’en servir pour nous immobiliser et user de superpouvoirs à notre insu. Dans une décontraction absolue, John immortalise notre rencontre silencieuse avec cet être un peu particulier. Notre conclusion, didactique et philosophique à souhait : « ‘sont oufs ces mecs quand même ».






Nous quittons la relative saleté de Pashupatinath et prenons la direction de Bodnath, situé à 17 singes de là, et, fait notable, à 6 mètres cinquante de bitume encore frais parmi le kilomètre de courbures négatives en chaîne. John se mue alors en guide, renvoyant Antoine et son rôle de porte-carte de guidage à celui de suiveur. La raison : ce lieu, il le connaît, l’ayant déjà visité pendant qu’Antoine tentait de maîtriser les tendances déjectives de son appareil intestinal.



Une fois le péage trop gourmand de la ruelle d’entrée évité par le simple emprunt de la parallèle, les yeux bleus hypnotiques dessinés sur le haut de la stûpa attrapent nos regards, comme pour faire autorité et appeler au respect du lieu. Plusieurs dizaines de mètres plus bas, nous entamons le circuit obligatoire de visite qui consiste à faire le tour du bâtiment. Les constructions traditionnelles qui le ceinturent, devenues magasins et cafés pour ceux de notre espèce, amplifient le déséquilibre du rapport entre nos mètres soixante-dix de haut pour un demi de large, et cette masse blanche de strates curvilignes. Pour le blanc toujours blanc de son architecture : 1 point pour le bouddhisme.




A l’opposé de l’entrée officielle du site, un temple nous suggère la visite de ses salles par l’ouverture totale de ses lourdes portes de bois. A l’entrée, un moine, facilement identifiable dans sa fonction par le ras de sa coupe de cheveux, le fait qu’il n’est sponsorisé ni par Canon, ni par Nikon, ainsi que, c’est là le critère le plus précis, par le pourpre et l’orange de son habit, épargné, il faut le noter, par la mode du slim à taille basse. Dans notre quête de découvertes puis, à terme, de comparaisons quant aux attributs des différentes croyances, nos esprits se permettent de partager à voix haute une déduction marquée par la finesse : comme en atteste la bonhomie des joues des moines bouddhistes et le creux des visages sadhus, nous pensons que ces premiers piquent la nourriture des seconds. Pour la piété de son culte : 1 point pour l’hindouisme.



Dans le vestibule de l’entrée, nous retrouvons les fleurs à robe orangée aperçues à Pashupatinath. Elles sont ici épargnées par les flammes, simplement disposées dans quelques centilitres d’un liquide indéterminé, dans une batterie de coupelles en aluminium soigneusement alignées. Bien que décorant joliment l’espace, nous les supposons attendre l’heure de la prière, étant probablement destinées aux fidèles à un moment précis, sous un mode qui nous reste inconnu. Pour les petites fleurs, indépendamment du sort qui leur est réservé : 1 point chacun.



Bref, parce que nous sommes trop bien élevés et trop peu informés pour se permettre un jugement arrêté sur les deux religions, nous les déclarons super-géniales toutes deux et avouons que le résultat était prémédité. Dans cet océan de bons sentiments et d’amour, et comme nous restons toujours bons amis du petit Jésus, nous vous souhaitons par ailleurs un joyeux noël, chers lecteurs et lectrices, et profitons de ce message pour accepter publiquement et avec le plus grand plaisir, le verre offert par le dénommé Guillaume qui nous fait l’honneur de commentaires systématiques.

6 commentaires:

  1. Rendez vous est donc pris pour une tournée de blonde du Bouffay à votre retour! Merci encore pour ces instants d'évasion et de découvertes que vous nous offrez en pleine grisaille hivernale nantaise.

    RépondreSupprimer
  2. Très joyeux Noël du monde a vous deux mes copains
    tout pleins de belles pensées pour cette nouvelle année qui vient, avec la suite de vos merveilleuses pérégrinations :)

    Anne

    RépondreSupprimer
  3. Joyeux noël et très bonne année ! =)

    RépondreSupprimer
  4. Bonjour vous 2 =)
    Je viens pour vous souhaiter une merveilleuse année, qui mérite encore pleins de belles choses pour vous.
    Je souris toujours autant devant ces dessins, ils sont vraiment superbes.
    Pleins de gros bisous et d'ici là, portez vous bien ! ;)

    RépondreSupprimer
  5. Bonne année les copains!!
    Bises à vous 2!
    Clémence

    RépondreSupprimer
  6. Bonne année à vous deux !
    Super de pouvoir vous lire, on s'y croirait presque !
    bises
    Malou

    RépondreSupprimer